Peintre de l’âme romantique chez Liszt, confident poétique chez Janáček, le jeune virtuose se montre attentif aux sons et aux résonances.
Le public parisien découvre Haochen Zhang à la salle Gaveau, après la sortie de son premier disque chez Bis. Peintre de l’âme romantique chez Liszt, confident poétique chez Janáček, le jeune virtuose se montre attentif aux sons et aux résonances.
Le programme ne laisse d’impressionner, comptant non seulement les monumentales Fantaisie de Schumann et Sonate en si mineur de Liszt, mais aussi deux pièces de Janáček et Boulez non dénuées d’embûches. Le pianiste les porte jusqu’au bout avec une concentration et une précision qui méritent d’être soulignées.
Pourtant Haochen Zhang réussit à nous faire très vite rompre avec l’idée qu’il ne serait qu’un athlète du piano. Avec Dans les brumes, dernière œuvre du mince répertoire pianistique de Janáček, il s’avère en effet être un vrai interprète de l’intériorité et du mystère. Avec une certaine sobriété dans le rubato ou dans l’expressivité, le pianiste fait le choix d’investir la sonorité et la résonance de l’instrument. Il dépose au creux de l’oreille des sons perlés, nimbés de pédale avec justesse, créant un climat de demi-teinte (Andante et Andantino), ne négligeant pas les petits événements rythmiques, les groupes de notes fulgurants et donnant même une dimension quasi-orchestrale au Presto, dans sa façon de combiner les différentes voix et d’utiliser la pédale.
Composée entre 1836 et 1838 et contemporaine des tribulations affectives de Robert Schumann avec Clara Wieck, la Fantaisie est un tourbillon romantique dont les mouvements sont significativement sous-titrés Ruines, Trophées et palme. Haochen Zhang, par son lyrisme discret, passe un peu à côté du premier mouvement, explicitement titré « Toujours fantastique et passionné« . Ce toucher si raffiné trouve parfois peut-être ses limites, tout comme la façon de ménager des transitions entre les passages, plutôt que d’en souligner les contrastes. Le second mouvement, mené avec un jeu incisif et nerveux, mais sans sécheresse, laissant ici chanter la voix du milieu ou là, résonner des accords martiaux, capte davantage l’attention, tandis que le dernier mouvement est servi par un délicieux legato sotto voce, au bord de l’abîme dont le crescendo final nous tire progressivement.
Après l’entracte le pianiste justifie auprès de son public l’ajout de la Sonate n° 1 de Pierre Boulez, à ce programme romantique, en rappelant la dimension avant-gardiste de la Sonate de Liszt au moment de sa création, au même titre que Boulez il y a un demi-siècle. Dans cette œuvre sérielle du tout premier Boulez, Haochen Zhang toujours précis, fait lutter la véhémence, la nervosité du jeu bondissant dans tous les registres du clavier, et sa dimension lyrique et poétique, renouvelant son attention pour la pédale, la résonance ou la rupture du son.
En réponse à la Fantaisie, dédicacée à Liszt, la Sonate de Liszt, dédicacée à Schumann, clôt magistralement le concert. Le pianiste allie compréhension de la construction de l’œuvre et passion : il nous offre les montagnes russes des états de l’âme, sans rupture de continuité, de la douceur élégiaque aux élans impétueux puissants et sans rudesse. La fugue qui débute le dernier mouvement est particulièrement haletante, d’une grande précision dans l’articulation. S’y ajoute une recherche certes parfois un peu systématique, autour de la pédale, du son et du silence, laissant par exemple s’épandre les vibrations d’un point d’orgue de l’Allegro energico. Espérons que le rythme effréné des tournées internationales laisseront l’occasion à Haochen Zhang de continuer ses recherches et poursuivre son exploration du répertoire du XXe siècle.
Le 19 novembre 2018 par Agnès Simon.
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